dimanche 9 septembre 2012

Colombie, la paix est-elle possible ?

La paix de l’extractivisme 
en Colombie
 


Par Raúl Zibechi

La lutte entre la guérilla et l’État fut une vraie guerre de classes en Colombie. Le jeune paysan libéral Pedro Marín est devenu Manuel Marulanda quand, le 9 avril 1948, la violence, commencée avec l’assassinat du chef du Parti Libéral Jorge Eliécer Gaitán l’a forcée à fuir vers la montagne pour sauver sa vie. Le Bogotazo, le soulèvement populaire urbain en réponse au crime, fut l’épicentre d’une guerre entre les conservateurs et les libéraux qui en 10 ans a ôté la vie à 200 000 Colombiens.

Les paysans pauvres n’ont pas été inclus dans le Front national qui en 1958 a scellé la paix entre le pouvoir conservateur et les « docteurs » (ndlr : au sens large de diplômés, notables) libéraux des villes, parce que la guerre fut faite pour leur voler la terre et les désorganiser en tant que classe. 

Pour survivre ils sont devenus des guérilleros, ont créé des groupes d’auto-défenses et, avec le temps et les désillusions, sont devenus communistes. De cette confluence sont nées les FARC en 1966, ouvrant une nouvelle étape dans les luttes paysannes.

Les offensives militaires ayant échoué et devant l’expansion territoriale des organisations armées, deux épisodes de négociations ont été ouverts. Sous la présidence de Belisario Betancur (1982-1986, ci-dessus en photo) il y a eu une trêve dans le cadre de laquelle est née l’Union Patriotique, en 1985, où fut aussi inclus le Parti Communiste

 La nouvelle force a obtenu cinq sénateurs, 14 députés et 23 maires, mais durant les années suivantes elle fut pratiquement exterminée par les paramilitaires, les militaires et les narcotrafiquants. Furent assassinés 13 députés, 70 conseillers municipaux, 11 maires et plusieurs milliers de militants. Pendant le gouvernement d’Andrés Pastrana (1998-2002) une « zone de détente  » fut créée sur la rivière Caguán, qui comprend quatre municipalités soit 42 000 kilomètres carrés. En parallèle, le gouvernement a signé en 1999 le « PlanColombie » avec les États-Unis [Clinton], qui a subordonné la politique de Pastrana et l’a poussé vers la reprise de la guerre.

Désormais, tout indique que l’accord général pour l’achèvement du conflit et la construction d’une paix stable et durable entre le gouvernement de Juan Manuel Santos et les FARC - avec la possibilité explicite de « l’abandon des armes »- peut mettre fin à la guerre. Il est possible que l’autre groupe armé, l’ELN, se joigne aussi aux négociations.

Le nouveau rapport de forces en Colombie, dans la région et le monde rendent possible la fin d’une guerre de 60 ans.

Premièrement, la société colombienne a profondément changé durant ce demi-siècle. Il s’agit d’une population majoritairement urbaine, dont la demande principale ne porte pas sur la terre, mais le logement, qui désire la fin du conflit et participe aux mouvements sociaux qui ont de l’impact dans les villes principales, où ne gouvernent déjà plus ni les conservateurs ni les libéraux. 

Deuxièmement, les classes dominantes, dont la meilleure expression est en ce moment le président Santos, accumulent de la richesse maintenant autour du modèle extractif (hydrocarbure, industrie minière et monocultures), mais pas grâce à la spoliation des paysans. La carte de l’extractivisme est celle du conflit armé. Consacrer une partie du budget gigantesque de la guerre à des travaux d’infrastructure est urgent pour faciliter la circulation du flux de matières premières et pour continuer à attirer des investissements.

La fin du conflit laisse entrevoir une autre guerre : celle des multinationales contre les peuples. La Constitution de 1991 reconnaît les territoires ancestraux des indigènes et afro-descendants sous le nom « zones protégées ». 

On a créé plus de 600 zones protégées "indigènes" qui occupent un tiers du territoire colombien et ce sont les zones d’expansion de l’extractivisme. 

La troisième question est le changement dans le rapport de forces. Les forces armées colombiennes se sont renforcées et ont une forte capacité de combat. Les FARC se sont affaiblies, ne peuvent gagner sur le terrain militaire et ont perdu de la légitimité. Les changements économiques, culturels et sociaux ont déplacé l’axe du conflit social vers les villes. 

Dans les aires rurales, les FARC se sont fâchées avec les indigènes, qui sont la force principale qui résiste au modèle extractif. Quatrièmement, de nouveaux vents géopolitiques existent. Les pays sud-américains ne veulent plus de conflits. Le Venezuela s’inquiète plus de redresser son économie.

 Le Brésil tend des ponts vers le patronat colombien et Brasilia cherche à consolider la présence de Bogotá dans l’Unasur. Les pays du Mercosur, qui peut être élargi avec la Bolivie et l’Équateur, misent sur le fait de gagner la compétition économique sur ceux qui composent l’Alliance du Pacifique (Mexique, Chili, Pérou et Colombie).

Les États-Unis repositionnent leurs forces armées vers le Pacifique pour contenir la Chine et ne paraissent pas en conditions d’ouvrir de nouveaux fronts de guerre dans d’autres parties du monde. Il est possible que l’Alliance du Pacifique, assise sur des TLC bilatéraux, commence à avoir un rôle plus actif dans la diplomatie étasunienne que le Plan Colombie, sans arriver à l’imposer comme « solution finale » à son déclin hégémonique. Cela dépendra de qui occupe la Maison Blanche en janvier.

Enfin, on doit comprendre que l’ennemi principal de Santos n’est pas Hugo Chávez, ni les FARC, mais Álvaro Uribe. De même que les militaires se sont obstinés à boycotter les précédents processus de paix, Uribe a besoin de la guerre pour se maintenir à flot. Santos a, comme l’a remarqué Alfredo Molano dans un excellent article intitulé «  El tatequieto  » (El Espectador, le 1er septembre 2012), un argument définitif : l’envoyer dans un avion de la DEA vers les États-Unis.

Pour les mouvements, la fin de la guerre n’est pas la paix, mais la poursuite de la lutte dans un scenario plus favorable. En plein conflit, affrontant la répression et la mort, ils ont été capables de réaliser de grandes mobilisations, comme le « Minga Social et Communautaire » de 2008 (photo ci-contre), poussée par les communautés Nasa du Cauca, et de se mettre sur pied le Congrès des Peuples, où se rejoignent de multiples collectifs. 

Maintenant ils se préparent à continuer « Faire Marcher le mot », en défendant leurs territoires contre les multinationales. Elle approche, la « paix de l’extractivisme », et avec elle, un nouveau cycle de luttes pour ceux d’en bas.


Sources :Raúl Zibechi, journaliste pour 
La Jornada, le 7 septembre 2012.
Traduit de l’espagnol pour El Correo 
 par  : Estelle et Carlos Debiasi.